Cassia, chien sans papiers
Nous avons passé la dernière semaine en Bulgarie à peaufiner la suite de notre voyage en Turquie, avec la grosse étape qu'est la visite d'Istanbul : monuments à visiter, restaurants à tester, horaires, transports en commun... Nous ne sommes désormais plus qu'à 2 heures de route de la frontière et l'impatience grimpe d'un cran au fur et à mesure que l'on se rapproche.
Il nous reste un point administratif à régler avant de traverser définitivement le 26 novembre : nous rendre chez un vétérinaire pour obtenir les papiers nécessaires pour Cassia. Comme nous passons hors de l'Union Européenne, nous devons présenter un certificat de bonne santé de moins de 48 heures ainsi qu'un titrage anti-rabique. Il s'agit d'une prise de sang qui permet de prouver que son vaccin contre la Rage est toujours actif. Nous repérons un vétérinaire pas très loin, cela ne devrait être qu'une formalité... Enfin, c'est ce que l'on pensait. A croire que nous n'avons toujours pas retenu la leçon depuis le début du voyage : rien ne se passe jamais comme prévu !
Mission contrôle vétérinaire
Arrivée chez la vétérinaire le jour J, la première complication se présente. Celle-ci nous indique un peu nonchalamment qu'elle n'est pas en charge des papiers pour les frontières. Nous devons nous rendre à l'administration sanitaire de Burgas, un bureau des douanes spécialisé dans les importations et exportations d'animaux vivants. Une heure de route plus tard, nous découvrons un imposant bâtiment administratif. La secrétaire ne parle pas un mot anglais, mais en voyant la chienne, elle nous prie de la suivre. Elle nous laisse en plan dans un grand couloir aux portes closes, donc nous choisissons d'attendre sans trop comprendre ce que nous sommes censés faire. Finalement, une autre dame nous explique que nous devons appeler les vétérinaires au numéro indiqué sur leur porte afin qu'ils se rendent sur place.
Je fais un premier numéro et tombe sur un homme qui me parle en Bulgare et ne semble pas comprendre un mot de ce que je lui explique... Par téléphone, impossible d'utiliser un traducteur, je suis donc contrainte de raccrocher. Second numéro, seconde tentative, mon correspondant souhaiterai que nous conversions en Russe... Comment dire que cela ne va pas être possible ? J'insiste en anglais et cela paye, puisqu'il m'indique qu'il sera là dans 10 minutes. Effectivement peu de temps après, notre homme arrive sur les lieux. A cet instant, nous nous pensons tirés d'affaire. Mais le voilà qui pianote sur le traducteur de son ordinateur, la mine peu réjouie. Je découvre alors la sentence. Si nous souhaitons lancer la procédure, il faut compter un délai de 3 mois pour avoir les résultats. Il m'explique que les prélèvements sont analysés en Grèce puisque la Bulgarie n'est pas habilitée pour le faire par l'institut Pasteur. Je manque de m'étouffer et m'exclame « 3 mois pour des résultats ? ». Il nous montre alors sur son calendrier pour confirmer : si nous faisons la prise de sang aujourd'hui, nous pouvons espérer des résultats fin février... C'est la douche froide : impossible que nous restions jusqu'en mars en Bulgarie !
Alors que nos rêves de Turquie s'envolent, nos
cerveaux se mettent en ébullition pour trouver une solution. Nous pensons
d'abord tenter la traversée de la frontière sans le fameux papier, au culot.
Après tout, jusqu'à maintenant le passeport de Cassia ne nous a jamais été
demandé. Mais nous nous apercevons après quelques recherches que cette option est
bien trop dangereuse : nous aurons forcément à présenter son passeport à notre
retour en UE, au risque de rester bloquer en Turquie, avec un visa de 3 mois
expiré... Finalement, cette solution ne nous tente guère !
Une deuxième option nous vient alors en tête : nous sommes à quelques heures de la frontière Bulgarie-Grèce. L'obtention du titrage est à priori moins difficile là-bas. Surtout, nous pourrions visiter la Grèce en attendant et y profiter d'une météo plus clémente qu'en Bulgarie... Nous ne perdons pas de temps et nous mettons donc en route dès le lendemain. Changement de programme total : adieu la Turquie, bonjour la Grèce !
Des frontières sous haute surveillance
Ce soir-là, le sort s'acharne alors que nous nous arrêtons pour passer la nuit dans un petit village. Il est 22h et nous terminons tout juste de manger après cette longue journée, quand une grosse secousse agite tout le camping-car. Je sors en trombe et m'énerve en criant en français, un peu à bout de nerfs : « C'est quoi ce bordel ? ». Je me retrouve nez à nez avec une jeune femme Bulgare affolée au volant de sa voiture. Elle vient d'exploser l'un des feux de notre porte-vélos en faisant sa marche arrière. Voyant qu'elle ne parle pas du tout anglais et qu'elle semble vraiment effrayée (A priori, je lui ai fait peur...), nous la laissons partir, dépités. Il est temps d'aller se coucher pour conjurer le sort de cette journée, la réparation du feu attendra le lendemain !
S'en suit une partie du voyage assez peu réjouissante pour traverser la Bulgarie : cette région n'est pas des plus glamour, il fait très froid et humide, et surtout nous sommes dans l'inconnu sur la tournure que vont prendre les prochains jours. La veille, nous nous sommes faits arrêtés 2 fois par la police, en une seule matinée pour des contrôles d'identité. Ils en profitent pour jeter un œil dans le camping-car, au cas où nous transporterions une famille de migrants... L'ambiance est donc particulière dans cette zone proche des frontières Grecques et Turques, et les convois de chars militaires que nous croisons partout nous font sentir une vigilance accrue. Nous nous rendons compte de la chance que nous avons de pouvoir nous déplacer aisément dans les pays voisins de la France, grâce à l'espace Schengen.
Le 27 novembre, nous sommes enfin en Grèce ! La traversée s'est faite sans encombre, maintenant direction Didymotique qui est la première ville sur notre trajet disposant
d'un cabinet vétérinaire. Nous longeons la rivière Maritsa, frontière naturelle
avec la Turquie. Ici aussi, les convois militaires sont nombreux et témoignent
des tensions entre les deux pays qui se sont encore accrues récemment. Des
problématiques territoriales les opposent, chacun revendiquant les îles de la Mer Egée situées près des côtes turques, mais aujourd'hui rattachées à la Grèce. Le président Turc, Erdogan avait remis le feu
aux poudres en Novembre, en lançant l'idée d'envahir militairement
son voisin grec sur Twitter...
Arrivés à Didymotique, nous trouvons un stationnement qui nous semble plutôt tranquille au pied d'une falaise. Mais vers 20h, on tambourine à notre porte : deux policiers en civil viennent contrôler notre identité, décidément ! Ils nous posent de nombreuses questions : « D'où venez-vous ? », « Qu'allez-vous visiter en Grèce », « Aimez-vous la Grèce »... Et au détour de la conversation « Avez-vous été en Turquie ? ». Nous les rassurons sur le fait que nous ne sommes pas des espions envoyés par l'armée turque, et ils nous souhaitent chaleureusement la bienvenue dans leur pays. A 23h, rebelote. Une deuxième patrouille vient nous contrôler, cette fois en tenue de service. Nous leur expliquons que leurs collègues sont déjà venus un peu plus tôt et redonnons nos passeports. Nous leur demandons tout de même si nous sommes en lieu sûr, inquiétés par la récurrence des contrôles. Ils répondent « Oui, mais n'ouvrez pas la porte si quelqu'un vient toquer pendant la nuit ». Rassurant...
Nos sauveurs Grecs
Après une nuit de sommeil plutôt léger, nous nous rendons au cabinet vétérinaire dès la première heure, mais trouvons la porte fermée. Un homme posté non loin nous repère, et vient nous expliquer qu'il s'agit du cabinet de sa fille mais qu'elle n'ouvre que le soir la journée du Lundi. Nous lui expliquons rapidement la raison de notre venue et que cela ne pose pas de problème, nous reviendrons à 18h. Mais le voilà qui nous invite à venir prendre un café avec lui et nous dit qu'il va essayer d'appeler sa fille. Nous faisons donc un peu plus connaissance avec lui puis sa femme, qui se révèlent être les gérants du café dans lequel il nous a emmené. Nous discutons de tout et de rien, oubliant presque la raison première de notre venue. Finalement, il nous apprend que l'assistant de sa fille est en route, spécialement pour nous recevoir. Celui-ci arrive 30 minutes plus tard et réalise la fameuse prise de sang de Cassia, enfin ! Nous devrons attendre un mois pour obtenir les résultats soit le 2 janvier. Avant de partir, le monsieur nous offre même un vermifuge contre un parasite mortel, et apparemment très commun sur les chiens en Grèce. Nous sommes vraiment reconnaissants et touchés par leur aide spontanée : nous pouvons dire que nous sommes tombés sur des personnes en or.
Maintenant que ces formalités sont derrières nous, nous décidons de nous laisser le temps d'explorer la Grèce. Autant profiter de ce mois d'attente, et peut-être même aller passer les fêtes de fin d'année au soleil, dans le sud ! Les petites villes s'enchaînent tandis que nous longeons la côte pour quitter la région de la Macédoine de l'Est. Partout, nous faisons le même constat : nous nous sentons réellement bien accueillis dans ce pays. Il y a chez les Grecs une gentillesse rare, sans calcul ainsi qu'un grand sens de l'entraide. Après quelques jours, déjà, nous ne comptons plus les situations dans lesquelles on a pu sentir cette bienveillance simple et naturelle. Il y a ces fois où nous rentrons dans une boutique avec une question, qui mène à de grandes discussions en grec, alors que le gérant mobilise toutes les personnes présente pour nous aider ou nous indiquer une adresse. Il y a les sourires dans la rue, les « Kalimera » chaleureux même des inconnus ou encore ceux qui nous disent quelques mots de français. Les gérants de petites tavernes qui nous offrent régulièrement le dessert au restaurant... Des petits gestes simples mais qui viennent à manquer dans beaucoup de sociétés.
Mais s'il y a un point négatif qui mérite tout de même d'être abordé, c'est la conduite grecque. La pire d'Europe selon certains. Il est vrai qu'ils n'ont pas tout à fait la même notion du code de la route. Ils trouvent, par exemple, parfaitement normal de doubler à droite, de conduire un 2 roues sans casque ou de s'arrêter en pleine voie, parfois en double file pour aller se chercher un café. Mais tout est fait dans le sourire et dans la détente donc nous leur pardonnons aisément !
Sithonie, petit paradis à l'ambiance de bout du monde
Nous mettons quelques jours à traverser la région de la
Macédoine, en profitant au passage de ses immenses plages, sur lesquelles nous
pouvons souvent nous garer directement. Nous approchons de l'immense ville de Thessalonique et prenons la direction des 3 péninsules situées au sud de la
province, souvent surnommées « les 3 doigts ». Nous aurions aimé
parcourir le Mont Athos et ses monastères orthodoxes, mais l'accès est
strictement interdit à tout individu de sexe féminin (Et cela inclue même les
animaux femelles, c'est donc loupé aussi pour Cassia).
Nous choisissons donc la
péninsule de Sithonie et contemplons le relief du mont Athos de loin !
Sithonie est une région touristique et plutôt haut de gamme, à en croire les
magnifiques villas en bord de mer. A cette période, l'endroit est complétement
déserté, nous pouvons donc, nous aussi vivre la grande vie, avec le choix
des emplacements les plus prisés : vue sur mer depuis le salon, nuit au
bruit des vagues et petites criques privées. Sur notre premier spot près de
Vourvourou, nous tombons sur un berger allemand, que nous baptisons « Copain ». Il n'a pas l'air errant, puisqu'il porte un collier et nous avons
remarqué que les chiens en Grèce sont souvent laissés en complète liberté par
leurs propriétaires.
Mais il est
temps pour nous de partir en randonnée, durant laquelle nous nous perdons dans des champs
d'oliviers, nous retrouvant ensuite à escalader dans les broussailles et les ronces.
Les chemins ne sont pas toujours très bien délimités en Grèce ! Après une bonne
demi-heure de marche, nous entendons un drôle de bruissement derrière
nous : c'est Copain qui a suivi notre piste pour nous accompagner en
ballade. Nous découvrons son talent pour le ramassage de plusieurs pierres à la fois (jusqu'à 4 grosses pierres dans sa gueule !), ce qui nous fait beaucoup rire.
Une fois la nuit tombée, il disparaît comme il est venu : ses
maitres ont dû le trouver bien fatigué ce soir-là !
Après avoir bien exploré l'est de la péninsule, nous traversons côté Ouest, en direction de la plage de Diaporti. Là-bas, nous sortons le kayak pour découvrir les petites îles, dont une que nous surnommons « Turtle Island », nous vous laissons deviner pourquoi... Alors que nous repartons de Sithonie, le beau temps s'installe doucement. L'air est chargé de l'odeur des olives, dont la cueillette bat son plein dans toutes les exploitations. Un parfum bien méditerranéen qui nous fait déjà dire que nous allons vivre de beaux moments en Grèce.